Interview
Mercredi 30 Novembre 2016 : Rencontre de Lyza, jeune femme ukrainienne travaillant dans le domaine de l'environnement (sur les accidents industriels, chimiques...) au Palais des Nations Unis à Genève. Sa mère était enceinte d'elle lorsque que la catastrophe de Tchernobyl s'est produite. Nous avons pu avoir une interview de cette jeune femme au Palais des Nations Unies, à Genève. Voici ci-dessous une photo que nous avons pu prendre lors de cette rencontre très enrichissante.
Dans quelle partie de l'Ukraine habitait votre famille ?
En 1986, ma famille (parents) habitait dans le Nord de l'Ukraine, à Kiev. C'est à environ 100 km de la catastrophe de Tchernobyl donc c'est assez près du lieu.
Votre famille a-t-elle été touchée par la catastrophe ? (maladies, décès, déménagement...)
Alors heureusement, il n'y a pas eu de décès dans ma famille. Concernant les maladies, on ne peut pas vraiment savoir si les maladies sont liées à la catastrophe. C'est vraiment difficile de savoir s'il y a un lien avec la catastrophe, mais je sais que ma mère a souvent des problèmes de thyroïde mais je ne sais pas si sans la catastrophe elle aurait eu ces problèmes. Mais on a tendance à croire qu'il y a un peu un lien, heureusement c'est pas très grave. Au niveau des déménagements, oui, puisque ma mère était enceinte de moi quand la catastrophe a eu lieu. Au départ, les populations n'étaient pas informées et au fur et à mesure, les gens se sont rendus compte que quelque chose se passait mais personne ne savait exactement quoi. Petit à petit, la population s'est rendue compte que c'était vraiment grave et tous les moyens de transports (avions et trains) étaient pleins. C'était surtout les familles des personnes travaillant au Gouvernement, sachant exactement ce qu'il s'était passé, qui quittaient le pays donc pour les gens , c'était vraiment difficile de partir de la ville. Ma mère voulait partir à Moscou où il y avait de la famille de mon père. Mais finalement elle est allée en Sibérie près de Sourgout au Nord de la Russie car il y avait de la famille mais mon père est resté pour son travail. Je suis née là-bas et suis restée 3 ans à Sourgout. Ma mère ne voulait pas que je retourne tout de suite à Kiev. J'y suis retournée juste une fois en hiver pour voir mon père car à ce qu'il paraît l'hiver, la radioactivité est moins importante.
Connaissez-vous des personnes qui ont été touchées ?
Alors dans ma famille non, après il y a des taux élevés de cancers en Ukraine. Sinon, ma grande tante a eu un cancer mais après on ne sait toujours pas si c'est dû à la catastrophe mais dans mon entourage je connais une personne dont on est sûr que son cancer est dû à ça.
Et avez vous eu des problèmes particuliers ?
Non, j'ai pas eu de problèmes de santé. Après mes camarades d'école, des enfants nés la même année que moi en Ukraine recevaient de l'aide du Gouvernement, c'est-à- dire que pendant les vacances d'été, ils allaient dans des camps pour des soins où ils étaient dans d'autres pays comme Cuba où ils étaient soignés ou par précaution (le Gouvernement voulait par précaution que les enfants soient examinés). Les enfants bénéficiant des soins devaient obligatoirement être nés en Ukraine donc moi je ne pouvais pas recevoir ces soins ( mais bon tant mieux!)
Votre famille a-t-elle connue des liquidateurs, nettoyeurs ou sauveteurs ?
Non je ne pense pas. Après il y a quelques années j'ai rencontré une dame qui était une liquidatrice envoyée par la Suisse quelques temps après Tchernobyl c'était vraiment par hasard surtout que je l'ai connue en Suisse donc c'était inattendu. C'était très intéressant de rencontrer une personne étrangère qui aidait le pays. Beaucoup sont décédés.
Est-ce-que cette catastrophe a eu des répercussions sur vos décisions actuelles, dans votre vie d'aujourd'hui ? (métiers, goûts, façon de penser...)
Je pense pas, enfin pas consciemment. Mais peut- être un peu. A l'école, on en parlait, on nous disait que le gouvernement avait tort de nous cacher une chose aussi importante. On étudiait ce qu'il s'était passé. Donc cela a marqué les esprits : c'était une grande tragédie. Aujourd'hui je travaille dans le domaine de l'environnement, dans tout ce qui est accident industriel, chimique donc c'est pas 100% lié mais c'est quand même proche. Est-ce que c'est parce que je suis Ukrainienne, non mais parce que je m'intéresse à ce domaine. Je suis quelqu'un qui aime beaucoup l'environnement et j'aime faire ce qui est possible de faire pour améliorer l'environnement, pour avoir un style de vie assez écologique, faire attention à la pollution... ce n'est pas très lié au nucléaire mais ce n'est pas opposé non plus.
Comment votre famille a su qu'il se passait quelque chose ?
Je pense que cela a commencé du bouche à oreille. Personne ne savait exactement ce qu'il se passait mais après des rumeurs ont commencé à circuler. C'était en avril, mais les gens disaient qu'il ne fallait pas ouvrir les fenêtres ou les couvrir avec du papier journal au niveau des ouvertures afin de ne pas laisser entrer l'air avec les radiations. Mais bon on savait qu'il se passait un truc et qu'il ne fallait pas être exposés. Tout le monde restaient chez eux puis après tout fini par s'apprendre. Il y a forcément quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît un membre du Gouvernement. Je crois que c'était par le bouche à oreille puis les médias ont confirmé la nouvelle. Par exemple, il y a une anecdote assez marrante, quand ma mère a réussi à partir elle était déjà très enceinte, et la seule compagnie aérienne qui existait à l'époque (Aéroflote) avait interdit aux femmes enceintes de voyager (à partir de 4 mois de grossesse). Mon père avait un très bon ami qui était médecin (cardiologue) et qui avait donné un certificat à ma mère confirmant qu'elle était enceinte de moins de 4 mois. L'hôtesse à l'aéroport voyant le ventre de ma mère lui dit : « Mais madame vous ne pouvez pas voyager, vous êtes enceinte d'au moins 8 mois! », ma mère a sorti le certificat médical la permettant de voyager et de prendre l'avion. Donc voilà, c'était un peu ridicule parce que même avec un énorme ventre, si on avait un papier on pouvait le faire, donc la pauvre dame elle ne pouvait rien faire et c'est comme ça que ma mère a pu partir.
Anecdotes :
Quand j'avais huit ans, j'allais tous les jours à l'hôpital pour suivre un traitement (sans rapport avec la catastrophe) et je me souviens, on voyait à la clinique de Kiev avec ma mère des enfants de mon âge qui avaient des malformations : un enfant qui n'avait pas de main mais à la place comme des pinces de crabe. C'était un gros choc. On peut pas affirmer que c'est à cause des radiations mais je pense que si. Heureusement je n'ai pas connu quelqu'un dans mon entourage qui avait des malformations.
Ma ville était vraiment loin de Kiev, ma mère prenait l'avion jusqu'à Moscou puis un autre pour aller à Kiev. La ville où je suis née était assez grande, donc il n'y avait pas vraiment de problème pour y arriver. J'avais 3 ans quand je l'ai quittée mais je me souviens du froid, de la neige, on n'avait pas de frigo donc on mettait tout sur le balcon, c'était loin mais accessible, pas au fin fond de la Sibérie. Un choc pour ma mère, qui ne prévoyait pas du tout de partir, personne ne s'attendait à ça. Tout le monde ne pouvait pas partir aussi loin. Par exemple, un bon ami à moi est né au Sud de l'Ukraine car ses parents ne pouvaient pas aller aussi loin. Je sais que le vent était vers l'Ouest et du coup, il apportait des radiations vers l'Europe de l'Ouest. Il paraît que dans les médias français, juste après la catastrophe, les nuages s'étaient arrêtés à la frontière française, ce qui est évidemment une bêtise car les nuages ne s'arrêtent pas à la frontière. Tous les gouvernements avaient peur car l'Union Soviétique ne partageait pas les données, ne voulait pas dire ce qu'il se passait et ne voulait pas créer une panique, elle cachait la réalité. Je pense que les impacts sont principalement en Biélorussie, en Ukraine, en Pologne...
Quand j'étais petite, mes parents faisaient attention à ce que je mangeais parce que par exemple, le poisson, si mes parents ne connaissaient pas l'origine, ils ne l'achetaient pas, ils avaient peur que si ça avait été pêché dans des fleuves ou des rivières près de la centrale, ce soit mortel. Pareil pour les baies, ils avaient des personnes de confiance à qui ils achetaient les produits.
J'avais lu un article il y a pas longtemps sur les personnes qui revenaient car le gouvernement forçait les gens à partir, ils n'avaient pas le choix, mais ils voulaient revenir. C'est vraiment hallucinant comment ils vivent. Je suis allée à la centrale une fois, avec des amis. Quand tu y arrives, ça ressemble vraiment à un film d'horreur, avec des forêts et des villages abandonnés, on s'est approchés de l'usine protégée par des militaires. On leur a posé des questions car on était curieux ; on voulait savoir ce qu'il s'était passé, et ils nous ont expliqué qu'on pouvait visiter l'usine, on devait avoir une autorisation du Ministère des affaires étrangères. Le soldat nous a dit : « sérieusement ne le faites pas, c'est très dangereux, je vous déconseille de le faire ».
Nous remercions profondément Liza pour son aide et son soutien, sans qui ce travail n'aurait pas été aussi développé et construit.